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Contre le projet d’expulsion des jardins ouvriers des Prairies St Martin : occupons les parcelles vides, cultivons des légumes !

12/01/2012

Qu’est-ce qui se trame aux prairies St Martin ?

En mai 2011, les jardiniers des prairies St Martin apprennent par le journal que la Mairie va les expulser de leurs jardins. A la Mairie, on ne soucie même plus de sauver les apparences : c’est une fois la décision prise que les jardiniers seront mis au courant, et ce n’est même pas la municipalité qui le leur dira, mais Ouest-France ! On savait déjà que la ville expropriait petit à petit les habitants – ou attendait leur mort – pour finir de raser toutes les maisons. Maintenant, on sait qu’elle veut aussi détruire les jardins ouvriers et familiaux, quasi-centenaires, pour y implanter sur toute la zone un «parc naturel urbain» et un «amphithéâtre végétalisé». Et si l’on peut encore s’attendre à tout au niveau des projets de construction (1), les jardiniers et les habitants eux vont bien être dégagés des prairies. La Mairie avance ses arguments : les inondations annuelles et la pollution détectée dans les sols empêchent la continuation des jardins ouvriers. Cela vaut mieux pour la santé et le confort des jardiniers. C’est surtout mieux pour la santé des projets urbains et l‘appétit vorace de Rennes Métropole. D’ailleurs, ce n’est pas le seul projet d’expulsion de jardins en cours dans la ville : le même scénario est en train de se dérouler à la Plaine de Baud. Avec pratiquement les mêmes arguments, et les mêmes méthodes expéditives…

 

Les arguments de la Mairie

Or, selon les jardiniers de St Martin, ni l’argument de la pollution ni celui des inondations ne tiennent. En ce qui concerne la pollution, l’analyse des sols en métaux en lourds dit seulement que la consommation de légumes des jardins «commence» à devenir problématique après leur ingestion pendant trente ans, 365 jours sur 365 (2) ! Autant dire qu’aucun des jardiniers n’est menacé de mort…et qu’ils peuvent continuer à bêcher tranquillement leurs parcelles. La Mairie ne se soucie pas tant des cochonneries aux pesticides vendues dans les supermarchés de sa ville… Et l’argument est d’autant plus grossier quand on sait que ceux qui ont réalisé l’analyse des sols (le groupe SCE) sont aussi les aménageurs du futur quartier propret de la ZAC Armorique…quartier voisin des prairies St Martin ! Les prairies étant en plein milieu du trajet entre le futur quartier de la ZAC et le centre ville, ces aménageurs ont tout intérêt à voir disparaître ce que l’on n’hésite pas à traîter de «bidonville» dans les couloirs de la Mairie. Quant aux inondations annuelles, ce ne sont pas vraiment les jardiniers qui s’en plaignent : elles ne sont pas gênantes et depuis le temps, on a bien évidemment appris à faire avec. En réalité, la Mairie veut rendre l’ensemble de la zone encore plus inondable, en réalisant un bassin d’«expansion des crues» de 60 000 m3 : cela permettrait à d’autres zones de devenir non-inondables…et donc constructibles. Sous couvert de santé publique, les arguments de la pollution et des innondations ne servent en fait que les rêves d’urbanisation de Rennes Métropole.

 

Nettoyage et «métropolisation»

On l’aura compris, la Mairie veut tout bonnement pouvoir gérer et prendre le contrôle de cet endroit au fonctionnement et à l’histoire relativement autonomes. Cabanes en taules ou en matériaux de récupération, maisons nées sans permis de construire dans les années 30, cohabitation de différents mondes : du jardinier au fêtard, du joggeur au flaneur, de l’habitant de tout temps à celui de passage – légalisé, toléré ou illégal ; refuge pour certains, autosubsistances pour d’autres. Autant d’éléments qui arrivent à composer ensemble, faisant des prairies un endroit pas comme les autres. Tout ceci ne pouvait bien sûr pas coexister plus longtemps avec la politique de métropolisation de la ville : gentrification, avec le futur centre d’affaires du Couvent des Jacobins, fermeture des bars et disparition des lieux non-marchands où se retrouver (bancs, squares,squats, etc.), gestion et stigmatisation de la fête («Nozambule», «Nuit des 4 jeudis», campagne anti-alcool), projet pharaonique «EuroRennes» pour le quartier de la gare, et ravalament de facade dès que l’occasion se présente… Nettoyage, gestion, image.

 

Confiscation des décisions

Regardons ce projet pour ce qu’il est : une confiscation, grossière mais habituelle, des décisions qui devraient être collectives et publiques. Nous ne partageons pas ces manières de faire, et nous ne partons pas du même principe : à nos yeux, la question de l’avenir des jardins des prairies St Martin appartient à tous ceux qui se soucient de l’usage réel et public des prairies (qu’ils soient propriétaires ou non d’une parcelle) et plus globalement à tous ceux qui sont attachés à la préservation de cet endroit historique et remarquable dans la ville. Serions-nous contre l’avis de l’expertise qui a détecté des pollutions aux métaux lourds dans les sols des jardins ? A nos yeux, les seuls «experts» sont ceux qui occupent et utilisent les lieux, parce qu’ils le cultivent, le connaissent et le font vivre depuis des années en y consacrant leur temps. Ce ne sont pas tant les résultats de l‘expertise que nous réfutons (même si il y aurait à redire scientifiquement), mais leur utilisation politique à des fins d’expulsion (3). Serions-nous contre la «démocratie», en allant contre une décision du conseil municipal ? Là comme ailleurs, ce projet montre le vrai visage de leur «politique» : on vote, et puis basta, revenez dans cinq ans («Ne pas s‘inscrire sur les listes électorales nuit gravement à la démocratie»…on a bien compris la leçon !). A quoi sert la référence quasi-omniprésente à la démocratie ? A faire avaler la pilule et masquer l’omniprésence de son absence : qu’on pense à l’expropriation des jardins de St Martin, mais aussi bien à l’expropriation des maisons à Jacques Cartier, aux expulsions manu militari de la Maison de la grève et des hébergements de sans-papiers, au cautionnement du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes malgré l’opposition et les luttes depuis 40 ans, etc., etc. La Mairie, alors qu’elle se targue de représenter les «affaires publiques», «privatise» les prairies et les décisions concernant le futur des jardins de St Martin, n’hésitant pas à traiter les jardiniers résistants d’«égoïstes». Le recours à la discussion cordiale et dans les formes est sans issue : tout est déjà bien ficelé et décidé, la décision collective et publique est de fait déjà confisquée. Voilà pourquoi nous devons mener une lutte collective si nous voulons empêcher l’expulsion des jardins et se donner la possibilité d’y inventer, ensemble, d’autres usages que ceux imposer par la Mairie.

 

Occuper les jardins ?

Nous voudrions rebondir face à cette prise de décision à huis clos, ne pas la laisser passer. L’expulsion définitive ne devant avoir lieu qu’en 2013, il est donc loin d’être trop tard pour agir. Des jardiniers de St Martin ont déjà lancé une initiative pour refuser l’expulsion, avec la création de l’association “Préservons les prairies St Martin”. Mais il va sans dire que sans soutien, le projet va passer en force. L’idée est de lancer une campagne publique de contestation de cette décision, campagne accompagnée d’une ré-occupation des jardins, dans le but pratique d’empêcher leur destruction et l’expulsion des jardiniers, en lien et en coordination avec les usagers déjà présents et opposés à ce projet. Le but est d’occuper des parcelles libres ou laissées à l’abandon, tout autant que de cultiver, dans la mesure du possible, des légumes, des fruits et des plantes. Les aliments pourraient servir, outre aux occupants des lieux, à des cantines publiques en lien avec l’opposition à la destruction des prairies, pour visibiliser cette lutte et rencontrer d’autres mécontents. S’installer là-bas pour cultiver – et pas seulement refuser le projet – nous apparaît pertinent dans la mesure où nous cultiverons dans le même temps les liens qui nous attacheront les uns aux autres aussi bien qu’à cet endroit. Liens qui renforceront sans aucun doute notre ténacité.

 

Ecologie et milieux de vie

Serions-nous en train de nous «tromper de cible» ? Pourquoi s’opposer à un projet «écologique» de «parc naturel» ? Parce qu’avoir un rapport écologique à un milieu, ce n’est pas le préserver en le mettant sous cloche pour que rien ne lui arrive, mais c’est apprendre à vivre avec et à faire parti du cours de son évolution. Expulser les jardiniers et les priver de l’usage de leurs parcelles sous couvert de «protection de l’environnement», n’est en ce sens pas plus «écologique» qu’une giclée de round-up pour se débarrasser du chardon qui pousse là au milieu du parterre de fleurs. La création d’un «parc naturel urbain» nous semble bien plutôt relever de la séduction propre au discours du capitalisme «vert» et à son écologie de surface, qui cultivent le sentiment de la «Nature», pure et verdoyante, comme diversion et comme solution aux désastres écologiques. L’écologie ne devrait pas servir au renouvellement du capitalisme mais à la transition vers une approche politique de la question des milieux de vie et des manières de les habiter.

 

Une production de nourriture dans la ville

La ré-appropriation des jardins rend plus tangible et un peu moins abstraite cette question : comment inscrire et satisfaire dans la ville le besoin collectif de production de nourriture ? Question d’autant plus pressante quand on sait que la qualité des sols en campagne est désastreuse (du fait des pesticides, des labours excessifs et de l’érosion qui en découle, etc.) et quand on détruit tous les milieux susceptibles de pouvoir produire de la nourriture en ville, pour les remplacer par des constructions urbaines et des parcs dits «naturels». Nous pourrions, avec cette occupation, essayer de développer notre autonomie alimentaire vis-à-vis des modes de production et de distribution des produits du capitalisme, en faisant bien attention de ne pas séparer cette recherche d’autonomie de la constitution d’une communauté de lutte, qui cherche à intervenir publiquement, à visibiliser et à enrayer ce qu’elle dénonce. Autrement dit, cette ré-approriation est liée à la nécessité d’ouvrir en ville des espaces de production à la fois à l’écart et contre les circuits de production-consommation du capitalisme. Moins nous sommes en relation directe avec nos milieux et nos sources de vie, plus nous sommes dépendants de structures et de circuits extérieurs à notre contrôle : c’est exactement la logique de la société capitaliste. Prenons donc cette lutte comme une occasion de battre en brêche à la fois le projet d’«aménagement du territoire» de la Mairie, et la dépossession de nos milieux et de nos moyens de subsistances. A nos yeux, il y a plus de solutions au désastre écologique dans la lutte politique pour la préservation et l’utilisation des jardins aux prairies St Martin que dans la promotion du «développement durable» et la fabrication artificielle d’un «parc naturel urbain» – dont personne ne pourra avoir l’usage réel. L’occupation et la ré-appropriation des jardins est un bon moyen pour mettre à l’épreuve ici et maintenant notre souci pour nos milieux de vie, via un cas criant de déni de démocratie.

 

Tous aux prairies !

Les longues listes d’attente pour les jardins municipaux (peut-être jusqu’à 800 personnes !), le désir et la nécessité de plus en pressante pour bon nombre d’entre nous de pouvoir cultiver soi-même, ne peuvent que nous convaincre de l’envie réelle de voir continuer un espace de production potagère dans la ville de Rennes. Cette attente montre aussi bien la justesse de cette lutte que le soutien potentiel qu’elle pourra recueillir parmi les rennais. Occuper ces terres – et pas seulement refuser le projet de la mairie – constituerait une réelle force à la fois stratégique et effective de résistance à la destruction des jardins de St Martin et à la confiscation des décisions concernant leur avenir. Une force qui composerait avec celle des jardiniers, des habitants du quartier et des prairies qui refusent déjà ce projet ; et pourquoi pas avec celle de maraîchers ou paysans sans terre désireux de s’installer dans ces jardins et celle d’écoles ou de maisons de quartier des environs, qui pourraient en faire un lieu d’apprentissage du jardinage. La Mairie se sent relativement tranquille et à l’aise jusqu’ici, assez pour ne pas prendre en compte l’avis des usagers des lieux : mais que se passerait-il si les jardiniers trouvaient du soutien, si une détermination collective pour ne pas détruire ces lieux et leur inventer un autre usage venait à exister à Rennes ?

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1- L’idée d’y construire des tours n’étant pas absente de leurs têtes. Une architecte a en effet déjà planché sur des projets d’immeubles «sur pilotis» : certifiés «Haute Qualité Environnementale», bien sûr. Cf. l’article de Ouest-France, intitulé «Des tours sur pilotis aux prairies Saint-Martin», paru le mercredi 26 janvier 2011.

2- L’analyse montre que dans les légumes qui captent les métaux, c’est-à-dire les légumes à feuilles comme les salades ou les épînards, la concentration est plus importante que la moyenne bretonne (chiffre). Aucun dépassement n’a été constaté sur les autres légumes (tomates, haricots…). L’argument est d‘autant plus énervant quand on sait que la Mairie elle-même a sûrement contribué à la pollution des sols, en y amenant à la va-vite de la terre de remblais et de chantier en guise de terre de culture…A qui la faute si l’on trouve dans les sols des vieilles piles usagées ?

3- Ne nous y trompons pas, une expertise peut être intéressante. Il est toujours bon de savoir qu’il y a plus de plomb qu’il n’en faut dans nos salades. Mais alors soyons au moins rigoureux à propos de cet argument de santé publique : critiquons le protocole, établi en fonction des conclusions souhaitées ; comparons au moins avec la dangerosité des légumes de supermarchés chargés en pesticide. Le problème ici est bien le discours politique qui est formulé à partir d’une analyse. Nous pourrions nous-mêmes refaire des analyses, et si besoin, utiliser des techniques connues de dépollution par les plantes («phytoremédiation»).

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